De l'autre coté du trottoir

Comme tout le monde, je marche sur le trottoir. Comme vous sûrement, mais beaucoup plus vite. Parfois je marche sur la route, je suis dissident. Les trottoirs c’est un endroit où tu croises tout le monde. Et surtout personne. Marcher sur un trottoir c’est prendre le risque de s’ouvrir au monde. De croiser des gens que nous n’avons pas envie de croiser. De voir des choses que nous n’avons pas envie de voir. Les trottoirs c’est un réseau social à ciel ouvert.


Aujourd’hui il fait beau, j’ai donc marché sur un trottoir. A la croisée de deux rues, j’ai vu une fille sur le trottoir d’en face, avec qui, il y a quelques années, j’avais partagé une histoire. « Partager une histoire » je trouve ça plus approprié que vous dire que c’est simplement une ex. D’ailleurs des ex je n’en ai pas. Je ne dis que très rarement « c’est mon ex » lorsque je parle d’une fille qui a partagé un bout de ma vie. Je trouve ça réducteur. Ce serait réduire un film simplement à son personnage principal. Ne plus parler de l’histoire mais uniquement de la personne. Bref.


Cette histoire je ne la raconterai pas en détail, je n’en ai pas envie et je pense pas qu’elle en ait envie. D’ailleurs c’était il y a tellement longtemps que maintenant je ne sais plus de quoi elle a envie ou non. C’était il y a longtemps pourtant je n’ai pas oublié. Je n’ai pas oublié ces quelques mois. Cette parenthèse dans nos vies. Je n’ai pas oublié nos projets de voyage. Je me souviens de la date de ton anniversaire. Je n’ai pas oublié non plus nos rires, surtout le tien. Je n’ai pas oublié les musiques que nous écoutions ensemble. Les films que l’on regardait le soir. Je n’ai pas oublié la sensation d’avoir enfin trouvé ce que je ne cherchais plus. Puis, à la fin, la sensation d’avoir perdu ce que je cherchais depuis toujours. Je n’ai pas oublié ton plat préféré, ni la façon, si éphémère fut-elle, que tu avais de me regarder. Je n’ai pas oublié ta musique préférée et tes souvenirs d’enfance que tu m’as fait partager. Je n’ai rien oublié, les « dans quelques mois ou années, nous irons là, puis là, on ira voir ça là-bas, puis ça, puis je te présenterai lui et elle ». Tout ça. Rien ne s’est réalisé sinon je ne serais pas là à le raconter. Je le vivrais.
Des années sont passées, sans nouvelles.

Mais cet après-midi il y a eu une faille dans l’espace-temps, tu étais sur le trottoir d’en face. C’était une route qui séparait nos vies, une simple route. Nos regards se sont croisés et là nous avions tout oublié. J’ai bien lu dans ton regard que tu aurais préféré être obligée de regarder le spectacle d’Anne Roumanoff en boucle plutôt que de m’adresser un mot. Et je n’ai pas fait mieux que toi. Je n’ai pas bougé, j’ai continué mon chemin, me menant je ne sais où. Si il y a quelques années nous avions pu avoir un flash de ce qu’il vient de se passer aujourd’hui, aurions-nous eu la même histoire ? Tout ça pour ça.
Les gens ont trop de facilités à se dire « je ne t’oublierai pas » et s’oublient. C’est peut-être ça la recette du bonheur, pour vivre heureux, vivons dans l’oubli. Croisons-nous, regardons-nous, embrassons-nous, aimons-nous parfois, puis oublions-nous pour toujours. 
A peine le générique de fin terminé, oublier le film entier pour laisser place à un nouveau film.
Ces gens qui partagent notre chemin un jour et qui quelques années plus tard sont séparés de nous par une route. Putain de DDE.
Oubliez la temporalité de cette histoire, j’ai écrit « aujourd’hui » mais en réalité c’était peut-être hier, ou sûrement demain, qu’importe. C’est un détail. Oubliez-le.

 

N'oubliez pas de tomber amoureux...

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